*IA : de grands avantages, mais autant de défis*
Par Martin Veitch, Observateur du secteur
Les DSI pensent pouvoir tirer un ROI potentiellement élevé de leurs investissements en IA et en Machine Learning, mais aucun n'affirme que ce sera facile.
La reconnaissance ultime que peut recevoir toute technologie émergente est lorsque chaque fournisseur étend sa portée pour obtenir sa part du gâteau. De nos jours, l'attention médiatique portée sur l'intelligence artificielle (IA) et le Machine Learning (ML) est telle que presque toutes les entreprises que je rencontre se décrit comme « une entreprise IA» ou « assistée par l'IA», ou qui applique un certain degré d'artificiel, plus ou moins convaincant. Malgré cela, même si de nombreux défis demeurent, les possibilités offertes par l'IA sont presque infinies et les DSI et leurs collaborateurs y voient de nombreuses opportunités.
Il peut être utile de considérer l'IA et le ML comme des termes génériques pour désigner une série de technologies, dont les racines remontent au milieu du XXe siècle. Malgré une période de gestation particulièrement longue, à la cadence infernale actuelle du développement et de l'investissement, l'éventail des possibilités s'annonce très étendu.
Une façon de séparer les différents aspects ici est d'examiner les raisons des taux très différents d'adoption de certaines de ces technologies. L'IA pure reste difficile à vendre pour la plupart des entreprises en raison du ROI incertain à court et moyen terme, suscitant des craintes quant au manque de fiabilité des socles de données et aux coûts exorbitants de la recherche et du développement. À cela vient s'ajouter le manque d'ingénieurs logiciels possédant les compétences requises, la plupart étant convoités par les startups technologiques et les géants du secteur, ayant les moyens de les attirer avec un travail fascinant, des salaires mirobolants ou des options sur actions.
Le buzz
Une grande partie de l'enthousiasme actuel est suscité par l'IA générative et la capacité de créer divers types de contenu à l'aide de technologies telles que ChatGPT, Google Bard et Ernie de Baidu. L'investissement de Microsoft dans la première d'entre elles fournit un accès instantané à l'échelle, obligeant les autres à agir rapidement, sous peine de rester sur le carreau. Mais avec autant de buzz, il peut être difficile de discerner la nature de l'opportunité et son ampleur.
Quatre personnes sur cinq conviennent que l'IA et le ML sont essentiels pour maintenir la compétitivité de leur entreprise.
Bien que ces outils aient sans aucun doute été pour certains d'entre nous de grandes révélations, notamment, leur facilité d'utilisation, je me demande si nous en avons terminé avec ce que Gartner appelle « le pic des attentes exagérées » pour nous retrouver désormais au bord d'un précipice de désillusion. Vous vous souvenez d'Ask Jeeves dans les années 90 ? Ce fut, allez disons pendant cinq minutes, la nouvelle mode en ligne. Un moteur de recherche capable de traiter des questions en langage naturel, c'était tout nouveau, mais que le début d'une longue série.
Les DSI et les directeurs marketing avec lesquels je discute semblent être en proie à des doutes. L'IA générative, du moins sous sa forme actuelle, est étonnamment performante pour assembler du contenu à partir de demandes simples. Mais comme l'a souligné le docteur Johnson à propos du chien marchant sur ses pattes arrière : « Il boite peut-être, mais il a le mérite d'avancer ».
L'IA générative peut être utile pour créer des pages et des pages de qualité acceptable ou une première ébauche d'un texte et offre de très bonnes performances dans la création d'images. Or elle est arrivée à un point de rupture. Elle a déjà été récupérée par une armée suspecte de créateurs de contenus et d'émetteurs de spams heureux de produire en série et de diffuser des contenus de qualité médiocre sur la base du « peu importe la qualité, c'est la quantité qui compte ».
De plus, le flou qui règne autour de l'utilisation équitable et du plagiat, ainsi que de la tendance bien connue de l'IA générative à « fabuler » comme un politicien en manque d'argument lors d'un débat, est susceptible de conduire à la diffusion de fausses informations, voire à la diffamation.
Ceci dit, face au rythme de création des grands modèles de langage, au fait que les problèmes décrits ici soient largement admis et à la course à l'ajout de fonctionnalités, ce flou pourrait s'estomper plus vite qu'on ne le croit. Pour l'instant cependant, comme me l'a dit un CTO aujourd'hui : « On obtient ce pour quoi on a payé ».
Entrent en scène les robots collaborateurs
L'IA générative ne représente que la partie visible de l'iceberg, une chose qui nous permet de saisir toutes les opportunités surprenantes offertes, mais loin de représenter le mouvement dans son ensemble. Aspect peut-être moins sensationnel et donc occulté par l'essor de ChatGPT et autres : l'automatisation des processus robotisés (RPA) très performante.
Le travail change et avec lui la notion que nous avons de nous-mêmes et de la façon dont nous appliquons nos capacités et nous préparons pour affronter un nouveau monde.
En raison de son caractère relativement prosaïque, la RPA peut parfois être négligée, mais elle s'est imposée rapidement comme un moyen d'automatiser des processus, tâche dans laquelle les machines sont très performantes, et d'un ennui sans nom pour les humains. La gestion des notes de frais, la rédaction de documents juridiques et de contrats commerciaux, la gestion des approbations hypothécaires et l'émission de cartes de crédit sont des tâches mortellement ennuyeuses et routinières. Ce n'est pas le cas pour les robots qui ne font pas d'erreurs d'écriture et n'ont pas besoin de pauses ou de vacances. Mieux encore, la RPA est désormais une approche mature qui permet aux DSI de savoir comment l'exploiter et donc générer plus rapidement de la valeur.
Certains des défis sont d'ordre technique : l'intégration avec d'autres applications centrales par exemple. Il s'agit malgré tout très souvent (et cela s'applique à l'IA et au ML en général), de problèmes mineurs.
Problème connu de tous, mais dont personne ne veut parler : la crainte compréhensible des collaborateurs de se voir remplacer par des machines. C'est un problème pour les dirigeants qui doivent convaincre leurs collaborateurs de considérer les avantages et les limites de la RPA plus globalement. Pour faire court, les machines ne sont pas douées pour les choses qui nécessitent des émotions, telles que l'empathie, tandis que nous, simples humains monocéphales, nous luttons pour rivaliser avec la vitesse et l'échelle algorithmiques. Les robots libèrent les humains pour qu'ils appliquent leurs qualités émotionnelles plutôt que de perdre leurs journées sur des activités répétitives. Mais faire passer ce message de manière honnête en expliquant les répercussions potentielles pour certaines fonctions, le besoin de formation, d'upskilling, etc., est nécessaire pour obtenir l'adhésion de la base.
L'IA changera la façon dont les humains travaillent sans pour autant les remplacer.
Cela a toujours été vrai dans l'IT. De fait, les dirigeants doivent parler sans crainte et sans complexe, et de manière franche. L'IA changera la façon dont les humains travaillent sans pour autant les remplacer.
« Humain + Machine », voilà le duo gagnant pour éliminer les craintes quant à la confidentialité des données tout en apaisant les inquiétudes suscitées par des robots hors de contrôle. Tout comme ont disparu les dactylos, les copies carbone, les dictaphones et les mémos écrits envoyés via des réseaux de tubes pneumatiques, nous devons tous accepter que le travail change et avec lui notre conception de nous-mêmes et de la façon dont nous appliquons nos capacités et nous préparons pour affronter un nouveau monde.
Il est évident que les dirigeants d'entreprise devinent déjà les avantages. En matière de gestion du capital humain, par exemple, pouvoir accélérer le recrutement, l'upskilling, la gestion des talents et le contrôle des ressources peut faire toute la différence.
Selon une étude récente menée par Vanson Bourne pour le compte de Workday, quatre personnes sur cinq conviennent que l'IA et le ML sont essentiels pour maintenir la compétitivité de leur entreprise, tandis que les deux tiers affirment avoir déjà constaté des avantages en termes d'efficacité et de productivité. Mais des inquiétudes demeurent quant à l'éthique et la confidentialité. Actuellement, 94 % des personnes interrogées procèdent à des investissements et 83 % maintiennent ou augmentent les leurs.
Les DSI intelligents seront bien avisés d'adopter une approche bimodale qui passe outre le buzz et se focalise à la fois sur les victoires rapides et la différenciation stratégique à long terme. La route s'annonce parsemée d'embûches avec ces obstacles techniques, pratiques et éthiques, mais le jeu en vaut la chandelle.
Les robots libèrent les humains pour qu'ils appliquent leurs qualités émotionnelles plutôt que de perdre leurs journées sur des activités répétitives.